Beyrouth. Les façades criblées de
colonnes et de balcons difformes. La guerre comme maquillage désuet,
une ville-collage où le temps semble être pris de saccades, se
figeant dans une succession d'époques et accélérant sa course dans
une myriades de quartiers, y niant ses illustres vestiges en balayant
les poussières de sa propre Histoire. L'insolence des tours
immaculées tente d'élever les regards loin du pandémonium moite
qui règne dans les rues, entre les collines de gâchis plastifiés
et les corps meurtris des morveux syriens gisant dans leur bave et
leurs larmes sur les genoux de celles qui avaient peu et ont tout
perdu. Carrosseries rutilantes et tas de tôles souffreteux
produisent un grondement constant qui s'accompagne d'un orchestre de
klaxons singulier, braillard et enjoué, péremptoire, familier et
gratuit. Les porteurs d'uniformes grouillent, trimbalant leurs
instruments de mort ou de paix aussi différents d'âge que de taille
aux côtés de tonnes d'acier sur chenilles, veillant à la bonne
tenue des rapports entre les hommes et les fous... Et au milieu, au
cœur de cet amas de plaies et de fureur, de suspicions et de
rancoeurs, d'oubli et de parpaings fêlés, la Vie. Une vie tour à
tour unique, folle à enfermée, déterminée, bordélique, rêveuse,
poétique, ingénieuse, naïve, brûlante, paranoïaque, généreuse,
immature et experte dans le domaine du chaos immuable.