lundi 18 mai 2020

BOUM


                         Un jour de plus dans la mécanique parfaitement huilée de la Citadelle. Acheminer des ressources précieuses vers les salles des niveaux inférieurs, se tenir au courant des informations qui sont passées de groupes en groupes concernant la météo, les plans pour la journée et les besoins de la Reine. Jouer son rôle fièrement, systématiquement, en prenant note de chaque petit détail qui pourrait sortir de l'ordinaire afin d'en alerter mes semblables. Ne pas se... BOUM. Un bruit effroyable, une secousse de fin du monde, chacun se fige, pas un mot. BOUM. Toute la Citadelle a tremblé cette fois, certains commencent à rompre les rangs pour chercher refuge plus bas ou au dehors, je suis incapable de bouger. BOUM. Encore un choc assourdissant. Le plafond s'écroule par endroit, la panique s'est emparée des derniers sceptiques, ça court en tous sens dans les hurlements et la poussière. BOUM. Mes voisins sont ensevelis sous les décombres. Je vois ce qui reste d'eux qui en dépasse, décharné, disloqué, et je réprime un haut le cœur en cherchant du regard ma femme, qui a disparu voici maintenant une bonne minute. BOUM. Tout un quartier de la Citadelle vient de s'effondrer sur lui même, emportant avec lui un bon millier d'âmes qu'on ne reverra jamais plus, l'air est irrespirable, ça sent la peur, la haine, la mort, il faut partir sur le champ. BOUM BOUM. La paralysie qui s'était emparée de moi relâche son étreinte et je m'élance dans une direction au hasard, haletant. Je bouscule ceux qui croisent mon chemin, je leur marche dessus, je les mords si ils tentent de me ralentir, il n'y a plus d'ordre, de loi, de logique. Une civilisation part en fumée en l'espace de quelques minutes. On passe d'une gestion millimétrée de chaque heure de la journée à un chaos sanglant où chacun semble avoir perdu la tête. Quelqu'un me frôle, je me retourne, c'est un garde de la Citadelle qui se dirige vers l'origine des chocs. BOUM. Couvert de cicatrices, éclopé, il fonce droit devant lui, suivit par plus d'une centaine d'autres soldats de tous âges, pour qui la fuite n'est pas une option. Ils me dépassent l'un après l'autre, et je ressens l'Appel, aussi clair que si ils m'avaient adressé la parole directement. Au diable ma femme, si tant est qu'elle soit encore en vie. Pourquoi, pour qui devrions nous vivre si la Citadelle est réduite à néant ? Me voilà tout à coup soldat, au même titre que mes frères et sœurs qui forment à présent des colonnes, s'engouffrant dans les corridors encore intacts. BOUM. De la lumière, au bout là bas. BOUM. Nous sommes projetés en tous sens par la violence des chocs, mais rien ne saurait nous dévier de notre unique but : détruire l'ennemi qui menace notre race, qui met en danger notre Reine Mère, qui détruit notre patrie. 

                   De la lumière, au bout de l'entrée numéro 87. Nous accélérons le pas, en échangeant un maximum d'informations sur ce qui nous entoure, ce qui nous attend, les stratégies possibles. A ma droite cavale un soldat d'élite, un de ceux capables d'atteindre une cible mouvante à distance sans difficulté. Il saute par dessus les obstacles, fait valdinguer les pauvre fuyards qui arrivent en sens inverse. BOUM. L'instant d'après, sa tête n'est plus qu'une masse gluante, écrasée par un des rochers qui vient de chuter de la voûte au dessus de nous. Pas le temps de le pleurer, nous avons trop envie du sang de l'ennemi, certains civils nous rejoignent spontanément comme je l'ai fait un peu plus tôt. Nous sommes presque dehors, la ferveur de mes camarades me transporte, ça y est, la lumière, le jour, le combat, l'ennemi est immense, démesuré, sa tête disparaît presque dans le ciel, des jets d'acides tirés par nos meilleurs tireurs l'atteigne sans le ralentir, BOUM, nous hurlons en nous lançant à l'assaut. BOUM BOUM BOUM. ELIE. Nouveau bruit déchirant, plus aigu celui là. Les destructions infligées à la Citadelle sont béantes, dantesques, à peine croyables. L'ennemi est seul mais semble indestructible, le voilà qui se penche vers nous et nous balaye de ses pattes ignobles, je vois une trentaine de mes frères et sœurs mourir broyés en un instant. ELIE. Puis des dizaines d'autres alors que les pas de la chose qui semble avoir juré notre perte continuent leur œuvre d'anéantissement irréversible. BOUM. ELIE. Cette chose est en train de mettre fin a notre existence, et la majorité des dégâts qu'il inflige sont le fait de ses simples déplacements, j'aperçois une créature similaire encore plus monumentale qui fonce vers nous, je me rapproche d'un groupe de soldats et tente un assaut de côté sur notre premier assaillant, mais le voici qui tourne vers nous sa tête hideuse, je pense à ma femme et à nos enfants, qui étaient heureux et en vie voici quelques minutes à peine, une patte colossale s'abat sur nous à une vitesse à peine croyable, je sais que c'est la fin, je...


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« -Elie ! Elie ! Mais qu'il est con ce gosse, il ne peut pas s'en empêcher c'est pas possible ! Elie ! »

La jeune femme attrape le poignet de l'enfant, qui saute sur une motte de terre à pied joint en babillant, de minuscules insectes grouillant tout autour de lui, puis elle l'entraîne sans ménagement vers une grande nappe bleu et blanche étendue dans l'herbe, sur laquelle un homme est assoupis, torse nu, le visage rougi par le soleil.

« -Gab ! » glapit la jeune femme, « Gab ! » L'homme se réveille. « Tu veux pas surveiller le gosse un peu ? » lui lance-t-elle, visiblement agacée. « Je viens de retrouver Elie en train de s'acharner sur un nid de bestioles, t'imagines le traumatisme si il se fait piquer ou je sais pas quoi ? »

L'homme fronce les sourcils, peu concerné.

« -Boum ! » s'écrit l'enfant en riant.



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