Nouvelle écrite à partir du thème "une histoire d'amour Camerounaise", donné par la boss du journal où j'ai officié comme stagiaire au printemps 2009, à Douala, au Cameroun donc.
Tu n'as pas vraiment eu le choix. Douala, ville du vice, du
péché et des passions de toutes sortes. Comme un gigantesque bordel où se côtoient les
dealers, les braqueurs et les putes. Les PDG corrompus, footballeurs camés
circulant en humer, patrons de bars riches à millions, chauffeurs de taxis
armés jusqu'aux dents. Une boite de strip-tease, LA boite de strip-tease,
quartier Deido, rue de la « Joie ». Minuit, ou pas loin. L'entrée pue
la pisse et le stupre, les sachets de whisky vides jonchent le sol.
Entre. Ta
peau livide t'évite d'avoir à payer. La musique est assourdissante, elle te
cogne de plein fouet comme un semi-remorque lancé à fond. Elle
t'abrutit, se colle à toi comme le
pire des vêtements, imprègne ta transpiration de son rythme frénétique. Prend
place, commande toi à boire. Une bouteille de rhum, ne demande pas d'où il
vient. Devant toi, sur les estrades en ciment crades et tristes, elles dansent.
Sur leurs visages, la mort. L'ennui. Ou le néant. Il émane d'elles une
résignation qui te donne envie de vomir. Tu écluses ta bouteille à un rythme morne mais soutenu. C'est
l'heure du roulement, les déchets humains qui se trémoussent devant toi
laissent leur place à une nouvelle fournée de chair humide et poisseuse, pour
le plus grand plaisir des maquereaux et autres touristes en manque qui peuplent
l'endroit. Et tu la vois, au milieu de ces choses qui ont été des femmes, il y
a quelques années. Si jeune. Débordante de haine, à t'en foutre les jetons. Une
chevelure noire comme l'oubli,
qui cache par moments ses seins adolescents. Un visage
fin, déterminé. Elle n'est pas d'ici. Mais qui ça intéresse, tant qu'elle se
remue lascivement contre la barre d'acier rouillée juste devant le bar? Au fur
et à mesure, par ses regards et ses mouvements étrangement saccadés par
moments, elle déverse son mépris et sa bile contre l'assistance, qui ne
remarque rien, et s'en tape. Pas toi. Tu fixes ses yeux, cherche à les voir en
face. Ils fuient. Elle te voit comme elle
voit tous les occidentaux, un gros
larfeuille suintant de foutre et d'humiliation. Son regard fait baisser les
yeux aux branleurs qui peuplent la salle, comme si
elle leur crachait au visage leur vacuité abjecte, et qu'ils en avaient
subitement honte. Enfin, elle te remarque. Ton estomac semble tout à coup se
contracter, s'écraser sur lui-même. Tu essayes de sourire mais aucun de tes
muscles ne bougent. Puis tu reprends le contrôle. Le temps d'allumer une clope,
et de remplir ton verre. Le rhum chaud te file la nausée, mais tu ne t'en rends
même pas compte. Elle te dissèque littéralement des yeux, sans cesser de suivre
le rythme obsédant qui couvre toute tentative de conversation. Alors, comme dans un cauchemar, tu te vois te lever, laisser deux fois
l'addition sur la table, tourner les talons, et sortir. Sortir avant que
quelque chose ne dérape. Mais il n'en est pas question. Quel âge elle a? Seize,
dix-sept ans à tout péter. La bouteille est vide, 75 centilitres de rhum
évaporés en une heure à peine. Un par un, tes sens se font la malle, ne te laissant
que la vue. Elle te parle. Ses lèvres ne bougent pas, ses yeux non plus. Mais
elle te parle putain, peu importe comment. Et tout à coup, une fossette presque
invisible apparaît l'espace d'un instant
à la commissure de sa bouche. L'instant d'après, tu as posé le prix horaire
d'une femme sur le comptoir, et te diriges vers elle. La prend par la main,
sous les huées des résidus d'humains qui t'entourent. L'entraîne en direction
du couloir sombre et étroit au fond de la salle. Mais au lieu de pénétrer dans
l'une des chambres attenantes, tu continues tout droit. Elle ne dit rien. Dans
ta paume, sa main semble si petite. Les murs laissent filtrer des cris et des
gémissements, témoins des étreintes malsaines qui ont lieu en leur sein. Devant
toi, une fenêtre condamnée par des planches pourrie. D'un chassé du pied droit, tu fais voler les morceaux de
bois vermoulus dans la rues voisine. Sans un mot
toujours, elle enjambe le rebord, et saute.
Tu la suis de près. Au bout de quelques mètre, une voix tonne,
te sommant de t'arrêter. La fille ne se retourne pas, et marche droit devant
elle, en silence. C'est alors que tu réalises qu'elle ne porte rien de plus que
ce que la nature lui a donné, plus sa tenue de travail, ce qui revient au même.
Une main te prend soudain par le bras, et te force à te retourner. C'est un videur, gaulé comme George Foreman. Un billet de 10 000 francs cfa change de
main, et le convainc qu'il n'a rien vu, pour le moment. Tu rattrapes la fine
silhouette qui s'enfonce dans une ruelle plongée dans l'obscurité, et sans
réfléchir, tu enlèves ta chemise et lui met sur les épaules. Elle soupire
légèrement, sans te regarder. Une vingtaine de minutes plus tard, un taxi vous laisse devant l'hôtel le
Méridien, à Akwa. Les gamins des rues te regardent traverser la rue et entrer
dans le hall, suivi de cette étrange demoiselle qui irradie de désir et de
violence à la fois. Les plantons de la réception ne disent rien, tout comme ils seraient resté muet si tu
étais accompagné de trois gosses de 5 ans.
Ascenseur. Chambre 1804. Elle entre. Se retourne. Te fixe à
nouveau. Plus de sourire. Ta main droite décrit un arc de cercle, et la frappe violemment à la tempe. Elle
vacille, mais ne bronche pas. Tu trembles de tous tes membres. Impossible de
parler. Ta vue est trouble, tu tiens debout, mais plus pour longtemps. C'est
ton tour de fuir son regard, qui te transperce et te brûle comme de l'acide. Tu as envie de la
secouer, de la réveiller. Elle s'avance vers toi, doucement. Te dévisage comme le ferait une femme qui a trop
vécu, et qui s'amuse de l'ignorance qu'elle lit dans tes traits. Ses mains
défont ta boucle de ceinture, tandis que tu t'appuies au chambranle de la porte
pour ne pas tomber. Tu l'as emmené ici en pensant la sortir de la fange où elle
se noyait. Tu la laisses plonger à nouveau. En une seconde, les boutons de ta
chemise sautent, et tu la soulève en la serrant contre toi. Tu réussis tant
bien que mal à articuler la première phrase qui te vient à l'esprit: “J'te
laisserai pas retourner là-bas”, avant que ton cerveau ne cède la place à ton
instinct, et que tout devienne sueur et soupirs, encore et encore.
Elle ne s'est pas réveillé lorsque tu as rangé les quelques
affaires qui traînaient près de ta valise béante. Ni quand tu t'es allongé une
claque puissante pour ne pas perdre les pédales en regardant son corps frêle
constellé de cicatrices et d'un multitude de brûlures circulaires. Sa poitrine
menue qui se soulevait si doucement, comme si
elle allait s'arrêter d'un instant
à l'autre. Sa bouche légèrement ouverte, comme pour
murmurer au monde qu'il y a quelques années encore elle n'était qu'une enfant.
Elle n'a pas bronché non plus quand tu t'es penché au-dessus d'elle avant de
rester immobile dans cette position durant près d'une minute, puis de rebrousser
chemin, et de fermer doucement la porte derrière toi. Tu as essayé de
réfléchir. De cerner la situation. Tu as pensé à l'emmener avec toi. A prendre
l'avion du lendemain. A lui demander d'où elle vient, et pourquoi. A la sortir
de là. A la connaître. Tu y as pensé. Mais tu avais oublié d'où tu viens.
Alors, sur la table, tu as laissé 200 000 francs cfa.
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