L'envie de hurler. Le besoin vital, désespéré
d'être compris, d'être serré très fort, de boire les paroles que l'on veut
entendre. La confusion quotidienne, ce poing qui écrase le torse de
l'intérieur, qui coupe l'arrivée d'air au moindre écart. Le suicide qui revient
triomphant de ses années d'exil, convaincu comme chaque fois que son tour est
arrivé, que la partition est sienne. L'égo, le passé qui lui répondent, oui,
non, bien sûr que si, jamais de la vie, c'est la seule solution, c'est la pire
solution. Qui a raison ? Chacun
d'entre eux, selon l'instant. Six étages, c'est radical. Elle, c'est fini.
C'est une bonne chose. C'est la fin du monde. Après elle, le déluge.
Elles ? Pour quoi ? Pour combien de temps ? Quand ?
L'impression d'être plus faible que la décennie précédente. Plus fragile. Plus
stable pourtant. Quelle sera la prochaine excuse pour ne rien foutre? L'alcool
accompagne chaque heure de la journée, rend les choses plus simple, moins
précises, moins coupantes. Les gens aussi. Leur présence provoque un torrent de
phrases vaines mais amusantes, qui sortent de manière automatique. Leurs rires
font disparaître le reste. Jusqu'au prochain écart. Où est-elle ? Avec
qui ? Pourquoi ? Es-tu sûr que... Oui. Si. Est-ce que tout ça vaut la
peine de souffrir à ce point ? Est-ce que les dix dernières années sont
autres choses qu'une métaphore filée maladroite, une usurpation gauche,
fébrile, une fuite en avant pitoyable ? Non. Si. Prendre chaque petit
succès du passé et le désacraliser, le vider de son sens, mettre en lumière la
manière dont rien n'est mérité. Se figurer jusqu'à l'absurde que rien ne
justifie ces inspirations, cette liberté. Eprouver une haine incomparable, douloureuse,
lancinante pour soi-même, dès que les paupières s'entrouvrent. Ne plus supporter
la moindre facette de son être, se savoir faux, calculateur, ignoble. Se haïr
encore plus devant l'égoïsme de la démarche, saisir l'ironie de la situation et
esquisser un sourire frémissant et couvert de morve. Questionner sa santé
mentale, chaque jour. Suicide ou médocs ? Le goudron ou la cellule ?
Cette sensation d'imposture, d'irréel. De fin du monde. La certitude de ne pas
être digne de la confiance, de l'amour. Du respect. Le traître de la famille.
Du clan. Du métier. Le clown qui aurait dû retirer son masque voilà des années,
et qui s'acharne pourtant à faire croire à son monde qu'il sait où il va et
pourquoi. Les larmes. Les écarts. Pourquoi ? Non. Non. Non. La quête du
talent. Le talent d'écriture potentiel est battu chaque jour à plate couture
par le talent dans la création des excuses. Pas aujourd'hui, rupture oblige.
Pas ce soir, c'est encore trop récent. Pas lundi, ça ne mène nulle part quoi
que l'on fasse. L'impossibilité narquoise de pouvoir rédiger une lettre d'adieu
assez mémorable, assez courageuse, assez compréhensible pour ne pas quitter les
Lieux plus honteux que jamais. Les appels à l'aide futiles, les conseils et les
belles phrases qui traversent l'air et disparaissent devant un désespoir têtu.
Les proches qui rient des idées mortifères, qui les balayent comme si l'on
était trop faible, trop fou, trop heureux, trop intelligent pour en être réduit
à enjamber cette barrière métallique branlante avant de s'éteindre entre la
camionnette du coiffeur et les plantes du magasin de téléphonie. Les souvenirs
comme des coups dans le plexus, comme des manchettes à la pomme d'Adam. La
poigne qui enserre le cerveau et l'esprit. Le suicide, plus puissant que
jamais, bataille ferme avec l'ambition, dont le corps chétif est balayé sans
efforts chaque fois qu'elle se relève. La folie qui rôde, avançant placidement
des arguments valables, posant ses pions. La fuite. L'incompréhensible dualité
qui consiste à se réjouir de pouvoir enfin mettre des mots sur le chaos et à en
souffrir encore plus devant l'étendue des dégâts. La Honte. De soi, de ces
problèmes invisibles, ridicules, infimes, éternels. De cette paresse acceptée,
justifiée, encouragée. De ces appels au secours misérable, mégalomanes,
risibles. La fin. La fin qui ne vient pas, qui ne viendra pas. Le Temps qui
effacera cette lettre, qui cachera la Mort sous son manteau en attendant de la
dégainer à nouveau. La possibilité d'un sort différent. La force intérieure,
dont on ne saurait dire si elle tient de l'instinct de survie ou de la volonté
réelle de terrasser le Suicide, la Honte et leurs sbires une fois de plus. Les
larmes. Le passé. Le futur. La peur. Le Temps.
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