mercredi 30 janvier 2013

Chute libre (2013)



L'envie de hurler. Le besoin vital, désespéré d'être compris, d'être serré très fort, de boire les paroles que l'on veut entendre. La confusion quotidienne, ce poing qui écrase le torse de l'intérieur, qui coupe l'arrivée d'air au moindre écart. Le suicide qui revient triomphant de ses années d'exil, convaincu comme chaque fois que son tour est arrivé, que la partition est sienne. L'égo, le passé qui lui répondent, oui, non, bien sûr que si, jamais de la vie, c'est la seule solution, c'est la pire solution.  Qui a raison ? Chacun d'entre eux, selon l'instant. Six étages, c'est radical. Elle, c'est fini. C'est une bonne chose. C'est la fin du monde. Après elle, le déluge. Elles ? Pour quoi ? Pour combien de temps ? Quand ? L'impression d'être plus faible que la décennie précédente. Plus fragile. Plus stable pourtant. Quelle sera la prochaine excuse pour ne rien foutre? L'alcool accompagne chaque heure de la journée, rend les choses plus simple, moins précises, moins coupantes. Les gens aussi. Leur présence provoque un torrent de phrases vaines mais amusantes, qui sortent de manière automatique. Leurs rires font disparaître le reste. Jusqu'au prochain écart. Où est-elle ? Avec qui ? Pourquoi ? Es-tu sûr que... Oui. Si. Est-ce que tout ça vaut la peine de souffrir à ce point ? Est-ce que les dix dernières années sont autres choses qu'une métaphore filée maladroite, une usurpation gauche, fébrile, une fuite en avant pitoyable ? Non. Si. Prendre chaque petit succès du passé et le désacraliser, le vider de son sens, mettre en lumière la manière dont rien n'est mérité. Se figurer jusqu'à l'absurde que rien ne justifie ces inspirations, cette liberté. Eprouver une haine incomparable, douloureuse, lancinante pour soi-même, dès que les paupières s'entrouvrent. Ne plus supporter la moindre facette de son être, se savoir faux, calculateur, ignoble. Se haïr encore plus devant l'égoïsme de la démarche, saisir l'ironie de la situation et esquisser un sourire frémissant et couvert de morve. Questionner sa santé mentale, chaque jour. Suicide ou médocs ? Le goudron ou la cellule ? Cette sensation d'imposture, d'irréel. De fin du monde. La certitude de ne pas être digne de la confiance, de l'amour. Du respect. Le traître de la famille. Du clan. Du métier. Le clown qui aurait dû retirer son masque voilà des années, et qui s'acharne pourtant à faire croire à son monde qu'il sait où il va et pourquoi. Les larmes. Les écarts. Pourquoi ? Non. Non. Non. La quête du talent. Le talent d'écriture potentiel est battu chaque jour à plate couture par le talent dans la création des excuses. Pas aujourd'hui, rupture oblige. Pas ce soir, c'est encore trop récent. Pas lundi, ça ne mène nulle part quoi que l'on fasse. L'impossibilité narquoise de pouvoir rédiger une lettre d'adieu assez mémorable, assez courageuse, assez compréhensible pour ne pas quitter les Lieux plus honteux que jamais. Les appels à l'aide futiles, les conseils et les belles phrases qui traversent l'air et disparaissent devant un désespoir têtu. Les proches qui rient des idées mortifères, qui les balayent comme si l'on était trop faible, trop fou, trop heureux, trop intelligent pour en être réduit à enjamber cette barrière métallique branlante avant de s'éteindre entre la camionnette du coiffeur et les plantes du magasin de téléphonie. Les souvenirs comme des coups dans le plexus, comme des manchettes à la pomme d'Adam. La poigne qui enserre le cerveau et l'esprit. Le suicide, plus puissant que jamais, bataille ferme avec l'ambition, dont le corps chétif est balayé sans efforts chaque fois qu'elle se relève. La folie qui rôde, avançant placidement des arguments valables, posant ses pions. La fuite. L'incompréhensible dualité qui consiste à se réjouir de pouvoir enfin mettre des mots sur le chaos et à en souffrir encore plus devant l'étendue des dégâts. La Honte. De soi, de ces problèmes invisibles, ridicules, infimes, éternels. De cette paresse acceptée, justifiée, encouragée. De ces appels au secours misérable, mégalomanes, risibles. La fin. La fin qui ne vient pas, qui ne viendra pas. Le Temps qui effacera cette lettre, qui cachera la Mort sous son manteau en attendant de la dégainer à nouveau. La possibilité d'un sort différent. La force intérieure, dont on ne saurait dire si elle tient de l'instinct de survie ou de la volonté réelle de terrasser le Suicide, la Honte et leurs sbires une fois de plus. Les larmes. Le passé. Le futur. La peur. Le Temps. 

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