lundi 27 mars 2023

Jackpot

                         Nouvelle écrite à partir du thème "Au fond du jardin, la montagne"


Dix sept jours de marche. Plein le dos. Aymeric marche en tête, en grognant quand ça monte trop, et il pue encore plus que d'habitude. On prie tous pour qu'il pleuve bientôt -on peut rêver- ou qu'on trouve enfin une rivière encore baignable. Tout le monde a faim, tout le monde crève de chaud, personne ne parle. Les quinze derniers villages qu'on a traversés n'ont été qu'une succession de déceptions : pas un rat, des rues envahies de mauvaises herbes plus hautes que nous et des maisons systématiquement vidées de toute trace de nourriture ou d'armes dignes de ce nom. Des bagnoles cramées tassées les unes contres les autres faisaient office de barrières de fortune aux entrées et aux sorties, mais ça n'avait clairement pas suffit à protéger les habitants. Fallait être un peu limité pour croire que c'était une stratégie efficace. En plus, on est probablement à au moins 2000 mètres d'altitude, la région doit être coriace quand ça commence à geler. J'ai du mal à comprendre comment les gens faisaient pour vivre à l'année dans des coins pareils, et mes seuls souvenirs d'avant la Chute ne me sont d'aucune utilité en la matière : on habitait une ville paumée près d'Orléans, et j'avais moins de cinq ans.

Abdoulaye me fait un signe, il marche à ma droite sur ce sentier caillouteux et stérile, et il me montre quelque chose au loin derrière nous, entre les sommets qui bordent la vallée qu'on a empruntée pour venir. Je me retourne en plissant les yeux et en passant ma langue sur mes lèvres desséchées, la respiration sifflante, et je les vois. Des gros oiseaux, peut être des genres de vautours, ils ont l'air vraiment costauds vus d'ici. J'aurai aimé pouvoir demander à Maryam ce que c'était, si ça se mangeait, comment les attraper. Elle aurai su tout ça. Mais Maryam est partie sans un bruit y a déjà deux mois de ça, quand des vagabonds encore plus pouilleux que nous lui ont ouvert la gorge sous nos yeux en pensant que ça nous ferait déguerpir. Ils ne savaient pas qu'on les avait déjà encerclés. Ils ont fait beaucoup de bruit, eux, jusqu'au bout. Il faut dire qu'on a pris notre temps. Quelqu'un tousse derrière moi et je tente de chasser ce souvenir poisseux, avant de montrer mon pouce levé à Abdoulaye en reprenant un peu mon souffle. On se remet en marche.

C'était tellement plus simple de se nourrir, les premières années. On trouvait encore des conserves et des trucs mangeables dans pas mal d'appartements et de maisons, les gens qui avaient survécu se méfiaient moins les uns des autres. Ou peut-être que j'idéalise un peu. Je transpire trop, je le sens, j'ai pas bu depuis hier matin et les lanières de mon sac me brûlent les épaules. Je pourrais tenter de demander de l'eau à Aymeric, mais l'idée même me dégoûte, c'est déjà une épreuve de marcher quinze mètres derrière lui avec la nausée qui me travaille. Je jette un coup d’œil au chemin qui nous attend, on a l'air d'être à encore quelques heures du sommet. J'en entends qui commencent à se plaindre autour de moi, le tibia de Nico saigne encore sous son bandage et il prend de plus en plus appui sur sa béquille. Le sentier monte salement depuis des kilomètres, mes seins me font mal et je commence à voir des tâches sombres qui me pourrissent la vue. Une vague angoisse me saisit, je me vois assise au sol à bout de force, entourée par les autres qui me regardent l'air désolé... Un bruit, devant sur la gauche. Je lève la tête et aperçois Karim qui dévale la pente vers nous, un gros sourire sur son visage hirsute. Il arrive au niveau d'Aymeric, qui s'est arrêté, et lui chuchote un truc que je n'entends pas. Abdoulaye, qui marche juste devant moi, lâche un « putain ouais » et se retourne vers moi en faisant louvoyer son bras gauche comme un serpent, toutes dents dehors. Une rivière. On a trouvé une rivière. Je lui décoche mon plus beau rictus et on ricane aussi discrètement que possible, bientôt rejoint par les autres qui apprennent comme nous la nouvelle.

Quelques centaines de mètres sur notre gauche, derrière un petit bosquet jauni par ce soleil qui fait cloquer nos peaux et clamser nos chiens depuis plusieurs mois, un cours d'eau misérable et magnifique nous attend. L'eau est claire, ne sent rien et il y a de quoi s'asseoir dedans et barboter par endroits. Les uns après les autres, on y passe : nos fringues posées en tas sur des rochers, on se frotte, se frictionne, on boit. Beaucoup affichent un air béat, ne parvenant pas à croire à notre chance, quelques-uns vomissent d'avoir trop étanché leur soif, et on les réprimande à voix basse en riant. On entreprend ensuite de laver vaguement nos vêtements, qui sèchent à toute vitesse, puis Aymeric vient se planter au milieu de nous, son fusil de chasse à la main, et nous toise. Je pense qu'il a passé le point de non retour, il puera toute sa vie. Mais on le suivra partout où il ira malgré tout. Ça fait sept ans que je l'ai rejoint, avec Maryam au début. Sept ans qu'on vit tous ensemble, qu'on lutte, qu'on se soutient, qu'on se protège. Sept ans qu'il nous guide, qu'il m’entraîne à la fronde et au couteau, à pister les animaux, et qu'il règle les problèmes qu'il peut y avoir entre certains d'entre nous. Cette fois ci, sa voix cassée est porteuse de bonnes nouvelles, alors qu'il nous briefe avec son économie de mots habituelle. « Karim et Djuguna sont formels. Deux heures de marche. Un hameau, une douzaine de sédentaires au maximum, donc à bouffer pour nous tous. On va faire un groupe de 7 et un de 6, comme la dernière fois. Puisque Nico est indisposé, il va rester ici avec Aymane, Joséphine et les chiots. Abdoulaye sera responsable du groupe Deux. Équipez-vous légèrement, planquez le reste de vos affaires ici. On part à l'aube. D'ici là, vous pouvez manger la fin de vos rations. Tenez bon, c'est peut être le jackpot » Il a dit tout ça en nous regardant tous à tour de rôle. Sa tignasse rousse et sa barbe informe sont comme toujours constellées de feuilles mortes et de petits cailloux, ses yeux gris nous transpercent par dessous ses sourcils touffus et poussiéreux. On l'écoute tous en silence, personne ne dit rien. Il tourne les talons et on s'installe de part et d'autre du ruisseau, notre barda en main.

C'est Nico qui me réveille en m'embrassant sur le front. Sa barbe me recouvre le visage un instant, et j'éternue en me réveillant. Ça le fait sourire dans l'obscurité relative qui nous enveloppe, et il me caresse la joue. « Je t'aime », il chuchote. Il dit souvent ça en ce moment, pas seulement à moi d'ailleurs. C'est drôle, c'est comme si il pensait que si on arrêtait de la dire, cette suite de mots finirait par ne plus vraiment vouloir dire quoi que ce soit, qu'elle disparaîtrait. « Fais attention à toi et au petit », il rajoute en frôlant mon ventre tout plat du bout des doigts. Je lui souris en me levant, puis je m'éloigne pour aller retrouver Abdoulaye et les autres, qui sont en train de s'équiper. Personne ne peut savoir de qui sera le gosse, pour moi comme pour Aymane et Joséphine. Encore moins si il va survivre plus longtemps que les autres. Ça fait un bail que j'ai pas vu de marmots tenir plus de quelques années avec la vie qu'on mène. Et puis à part la gerbe, j'ai pas vraiment d'indices précis sur mon état. Qui sait, je suis peut être juste en train de me vider petit à petit, comme Titi, qui a mis six mois à partir. Il me semble que ça avait commencé pareil pour lui.

Ça doit faire pas loin de deux heures qu'on marche, courbés en deux dans le noir, quand le soleil commence à éclairer timidement quelques nuages au dessus des sommets qui nous entourent. Il n'y a même plus de piste et on s'enfonce dans une végétation acérée et cassante, le sol n'est fait que de caillasse, on s'érafle à chaque pas, personne ne se plaint. Aymeric s'arrête brusquement près d'un arbre mort couché sur le côté et nous indique, par des gestes rapides, de nous séparer en groupes devant lui. Je suis dans le groupe deux, comme les dernières fois, et je m'accroupis derrière Noémie et Abdoulaye. Djuguna me pousse de ses longs bras osseux pour s'installer à mes côtés en me souriant bêtement. Il croit qu'il est le père, lui aussi. J'espère que ça sera Abdoulaye, ou Nico. Ils ne sont presque jamais malades, et tous les deux sont costauds et plutôt intelligents. Les ordres sont donnés, à partir des renseignements que Karim et Djuguna ont rapportés de leurs escapades en éclaireurs. On se murmure des conseils, on se souhaite du courage et de la force, puis on se sépare. Abdoulaye est en tête de notre groupe, il court entre les arbres pieds nus, quasiment en silence. Ses mollets secs et constellés de cicatrices se tendent à chaque pas, ses pieds sont tellement couverts de poussière blanche qu'on dirait qu'il porte des chaussettes. L'idée me fait sourire, même si j'ai mal au bide et que la peau de mon dos a l'air d'être à vif.

L'aube commence à s'installer en douceur, on est allongé sur un petit talus, en train de scruter le fameux « hameau ». Il nous a fallu presque une heure pour parcourir silencieusement les deux cents derniers mètres dans un terrain extrêmement difficile, et nous installer là où on ne nous attendrait pas : derrière nous, à quelques pas, c'est le vide, sur plusieurs centaines de mètres. Mais aucun d'entre nous n'y pense. On est tous comme hypnotisés par l'endroit qu'on a sous les yeux. C'est comme les images de certains livres que j'avais trouvés encore intacts il y a quelques années. A une cinquantaine de mètres devant nous se dresse une grosse maison sur deux étages, ancienne mais apparemment en parfait état, qui trône au milieu d'une étendue d'herbe d'un bon hectare et demi, coupée très court. Comme ce qu'on appelait le gazon. Tout autour, à gauche côté forêt, des arbustes plantés tout près les uns des autres forment une barrière efficace et un écran impénétrable pour qui se trouve de l'autre côté. Des petites structures en bois parsèment l'herbe, et je comprends que ce sont des jeux pour enfants. C'est un jardin qu'on a sous les yeux. Un putain de jardin, paradisiaque, isolé, accueillant, irréel. Là bas à droite de la maison, deux enclos, où l'on entend déjà brailler quelques chèvres. Il y a peut être des cochons aussi, vu l'odeur. Et là bas, au fond du jardin, la montagne. Le soleil commence à poindre au dessus des collines au loin, éclairant toute la vallée en contrebas. C'est l'endroit le plus paisible et le plus beau qu'on ai jamais vu. Noémie et Djuguna rient en silence, une main sur la bouche. Thomas et Ahmed s'autorisent à sourire aussi, pour une fois. Moi j'ai envie de hurler de joie, de danser, d'aller trouver et embrasser Aymeric. C'est lui qui nous a dit qu'on trouverait quelque chose, tout là haut. Que c'était tellement dur de parvenir dans ce genre d'endroit qu'on pourrait y trouver « le jackpot ». Il dit souvent ça, le « jackpot ». Je viens seulement de comprendre ce que ça veut dire. Je me surprends à vraiment souhaiter être en cloque, j'ai envie de toucher cette herbe verte et douce, je nous vois vivre ici tous ensemble, j'imagine les futurs petits qui courent partout en piaillant. Je crois que j'ai envie de pleurer.

Un homme, puis un autre, sortent de la maison. Ils sont quasiment nus, comme nous, et l'un d'entre eux, le plus grand, porte un fusil de chasse sur son épaule. Deux canons. Ils se dirigent vers l'arrière de la maison, sur notre gauche, et disparaissent derrière un petit appentis en bois. C'est la direction d'où est censé arrivé le groupe mené par Aymeric. Abdoulaye se redresse lentement, en retirant sa machette du fourreau en cuir usé qu'il porte sur le dos. On retient notre respiration. Puis un coup de feu claque. En deux secondes, tout mon groupe est debout et on cavale vers la porte de la baraque. Un deuxième coup de feu, un cri, puis des bruits de combats au corps à corps. Le type qui n'était pas armé déboule à toute vitesse de derrière la maison, un air terrifié sur le visage. Il hurle en nous voyant jusqu'à ce qu'une pierre lancée par Djuguna le cueille en pleine mâchoire et qu'il s'effondre lourdement sur l'herbe. Je lâche le groupe et me dirige vers lui au pas de course pour le finir, je n'ai même pas réalisé que j'avais mon couteau dans la main, et d'autres éclats de voix nous parviennent depuis l'arrière de la maison, avant de s'arrêter brusquement. Un cri de triomphe d'Aymeric fait vibrer l'air autour de nous et, galvanisés, les autres s'engouffrent dans la bâtisse alors que je m'installe à califourchon sur le dos du blessé en lui tirant les cheveux pour lui faire relever la tête. « Pas les enfants... » il bafouille avant que ma lame ne traverse son cou de part en part, puis il tremble quelques secondes en se vidant sur mes mains et s'immobilise enfin. Je me relève et part à la poursuite de mon groupe, la maison résonne de cris et de bruits de chocs, le groupe d'Aymeric est parvenu à entrer par l'autre côté apparemment. Un autre coup de feu, puis deux, puis trois, ça claque sec, ça doit être un pistolet automatique. Abdoulaye, Ahmed et Noémie ressortent en courant de mon côté alors que j'arrive devant la porte, Noémie serre son poignet droit de sa main encore valide, l'autre n'est plus qu'un morceau de chair à vif d'où jaillissent de long filets de sang. Elle ne pleure pas. On se planque de part et d'autre de l'ouverture, hors d'haleine, et une femme au crâne rasé sort en courant sans nous voir, un long couteau à la main. Elle court tout droit, et n'a pas fait quinze mètres qu'Abdoulaye est sur elle et lui fend la tempe droite d'un coup de machette. A l'intérieur, les cris de guerre du groupe Un et les ordres de batailles d'Aymeric résonnent, des pleurs et des hurlements se multiplient, puis s'arrêtent les uns après les autres. L'assaut est déjà terminé, il n'aura duré que trois ou quatre minutes. Fébrile, je pénètre dans la maison en enjambant des corps inconnus et des morceaux de vaisselles brisés pour rejoindre les autres. Thomas est allongé dans une position bizarre, sur le côté, au milieu d'une grande pièce qui doit être une salle à manger. Une balle l'a traversé de part en part au niveau du nombril, et une deuxième a dû l'atteindre sous le nez, parce que le bas de son visage est en miettes. Djuguna est à côté de lui, sa silhouette squelettique avachie contre le pied d'une table renversée, et il croise mon regard alors que la plaie qui orne tout le côté de son cou vomi le sang qu'il lui reste. Il n'en a plus pour longtemps. Il me sourit encore bêtement, et je lui rends son sourire avant de lever la tête vers Aymeric, occupé à achever deux femmes qui semblent enlacées sur le tapis devant lui. Son bras gauche saigne beaucoup, il a dû prendre quelques coups, mais ça n'a pas l'air trop sérieux. Je l'enlace et on s'embrasse brièvement, pendant que les autres continuent de fouiller les étages. Puis on vérifie l'état de nos forces. Son groupe n'a perdu qu'un seul membre, le petit Alex, qui a pris en pleine face la première volée de plombs tirée par le grand gars qui les a repérés le premier. De notre côté, à part Djuguna et Thomas, tout le monde respire encore, même si Noémie et Charly sont salement blessés. Des cris de joie éclatent là haut, puis nos chants de victoire. On lève les bras en hurlant de toutes nos forces, en transe.

Quelques minutes plus tard, on est tous debout au milieu de la pelouse devant la maison, avec une partie de notre butin entassé sous nos yeux. Noémie et les autres blessés se font installer des garrots, on panse nos plaies en écoutant Aymeric qui bombe son large torse encore couvert du sang des précédents propriétaires de l'endroit : « Succès. Jackpot, mes amis, jackpot. D’abord, en arrivant, on a trouvé la source de la rivière d'hier, elle est juste à côté de l'enceinte, à l'extérieur. Ensuite, ici, il y a 12 chèvres dont la plupart sont apparemment en bonne santé, quatre cochons, une vingtaine de poules et un coq, trois armes à feu en état de marche et en tout 56 munitions, surtout des cartouches de chasse. On a compté 8 chambres, et 16 lits en bonne condition il y a un cellier sous la cuisine, avec des centaines de kilos de gros sel. Et un potager d'environ 250 mètres carrés à vu de nez, avec pas mal de choses dedans. Liz » Il me regarde. « Tu vas voir si tu reconnais ce qui pousse là bas, et ce qu'on doit faire pour garder tout ça en vie. Abdoulaye, tu retournes chercher Nico et les autres. Ahmed, tu prends deux personnes avec toi et vous rassemblez les corps là bas, dans le gravier à côté de l'appentis. Je veux que tout soit découpé et préparé d'ici ce soir, on va en saler la moitié, je vous montrerai comment on fait... Mais ce soir, on va se goinfrer. Vous l'avez mérité, tous. Djuguna Alex et Thomas seront les premiers, comme le veut la tradition, puis on verra ce que donnent les...»

Un cri suraiguë lui coupe la parole, et on se retourne tous vers la maison pour apercevoir un gamin qui ne doit pas avoir plus de six ans, en train de courir ventre à terre vers le bout du jardin qui s'enfonce dans la foret. Il tient dans ses bras un fusil qui paraît immense, et hurle « je vais tous vous tueeeeer » de toutes ses forces en traçant vers la seule sortie praticable à pied, entre des arbres qui forment une sorte de porte naturelle. « Rattrapez le, il nous faut cette arme » siffle Aymeric, et on se lève tous d'un coup, quand soudain la tête du gosse percute une branche basse avec un craquement bref et il bascule en arrière dans une pirouette absurde, cul par-dessus tête. Il ne bouge plus. Un silence total s'installe pendant deux bonnes secondes avant que j'éclate de rire, instantanément suivie par tout le reste du groupe. On rit à gorges déployées, en se tapant sur les cuisses, je crois qu'Abdoulaye pleure en se tenant les côtes, Ahmed glousse comme une gamine en se dirigeant vers le petit pour le terminer et récupérer le flingue. « Fouillez moi ce manoir comme il faut bordel » s'esclaffe Aymeric, et on repart dans un fou rire qui durera de longues minutes.

Tout le monde est parti remplir sa mission, je reviens du potager après en avoir fait l'inventaire, on a de quoi se nourrir correctement et pour un bout de temps. Noémie se repose, blême et en sueur, allongée au bout de la pelouse près du précipice d'où on est arrivé. Je viens m'asseoir à ses côtés et l'embrasse, ses lèvres sont aussi sèches et brûlantes que les miennes. « Je t'aime », je lâche, et elle me regarde intriguée, il n'y a que Nico pour dire des trucs pareils d'habitude. Puis on rit toutes les deux, et je prends sa main restante entre les miennes en regardant les montagnes au loin. Il fait encore doux, des nuages cachent maintenant celui qui a été notre pire ennemi pendant toute l'ascension. Quand les autre reviendront, il faudra choisir qui dort où -dans des lits!- et commencer à mettre en place les tours de gardes, l'amélioration de la sécurité de l'endroit, distribuer les rôles à chacun et chacune... Puis commencer à vivre, comme des sédentaires, pour la première fois depuis... Depuis trois ans. L'herbe est soyeuse sous mes cuisses, les cris des chèvres et du coq sonnent comme une mélodie oubliée, le bruit des lames qui préparent les corps pour le repas de ce soir y ajoute un rythme alléchant. Je me sens transportée, j'ai du mal à croire que je vais me réveiller chaque matin avec cette vue, ce jardin, cet endroit qui regorge de vie. Que je serai entourée de ceux et celles qui comptent, ceux et celles qui sont encore là du moins. Que j'élèverai peut être un marmot qui apprendra à courir et à rire ici, dans une sécurité qu'on pensait impossible. Noémie gémit et ses doigts se contractent sur les miens, j'entends sa jolie voix rauque qui marmonne : « Tu penses à quoi ? ». Je souris et un court silence s'installe, puis je murmure :

« Jackpot ».


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