Mardi
10 décembre. Hassan Hawlo al-Lakiss,
un
cadre du Hezbollah, est assassiné près de chez lui dans la banlieue
sud. Malgré des revendications d'obscures groupes sunnites, Israël
est dans le collimateur puisque le modus operandi est d'une
perfection morbide : deux balles dans le cœur, une dans la
tête, au silencieux. Aucun suspect arrêté.
Dimanche
15 décembre. Un soldat israélien abattu près de la frontière par
un membre de l'armée libanaise. Quelques heures plus tard Tsahal
contre attaque, blessant ou tuant deux soldats libanais. Les médias
ne sont pas d'accord sur les faits, certains affirment qu'une
patrouille israélienne avait pénétré, comme souvent, en
territoire libanais, d'autres prétendent qu'il n'est rien arrivé de
tel. Il est peu probable qu'on sache un jour la vérité.
Lundi
16 décembre. Deux attentats suicides contre l'armée à Saïda. Même
revendications de groupuscules aux noms inconnus que lors des
précédents troubles.
Les nouvelles de ce genre se suivent à
un rythme de plus en plus soutenu. Les journaux parlent de quantités
importantes de voitures piégées introduites dans le pays depuis la
Syrie. Marwan Charbel, ministre de l'Intérieur, a déclaré que la
situation était sous contrôle mais que le pays pourrait « a
tout moment » connaître « une grande détérioration »
de la sécurité, et que les trois prochains mois promettaient d'être
« très difficiles ». L'ironie de ces contradictions
scandaleuses ne fait pas rire grand monde.
Changement d'ambiance
Dans
la rue, un changement se fait sentir. Le redoux, bienvenu après
quelques jours de froid et de pluies torrentielles qui ont paralysé
le pays, semble s'être installé pour de bon. L'hiver, dit-on, ne
surviendra qu'en février. Et la sécurité se renforce
quotidiennement. Les soldats et les membres des Forces de Sécurité
Intérieure (FSI) sont plus nombreux dans les rues, et installent des
barrages dans divers endroits. Les sempiternels plantons qui
grouillent autour des ambassades, ministères, écoles, mosquées et
lieux fréquentés sont en alerte. De la fenêtre du taxi qui
m'emmène vers le quartier de Mar Mihael et ses bars bondés tout au
long de la semaine, je les observe. Finis les airs décontractés,
les blagues, les compliments aux jolies filles, les partie d'Angry
Bird sur les smartphones. Ils se tiennent droit, tapant du pied
nerveusement, mâchoires serrées, arme au poing, fouillant des yeux
l'intérieur de chaque voiture et dévisageant les passagers.
L'après midi du lendemain, sur le rond point Tayounneh près
du parc des Pins, je passe devant une petite casemate de sacs de
sables où sont stationnés deux militaires. Un hummer de l'armée
s'arrête à proximité, et ce que j'imagine être un gradé en sort
aussitôt avec dans les bras deux gilets pare-balle et autant de
casque lourds. Les soldats s'en emparent tandis que l'autre leur
hurle des ordres en arabes. Tous semblent inquiets. Je jette un œil
au hummer, qui est rempli d'autres gilets, de casques et de sacs
d'équipements. Ils font la tournée des postes de garde pour les
distribuer. Je m'enfonce dans Ain El Remmayneh en direction de chez
moi et croise à plusieurs reprise des hommes seuls, en civil mais
talkie-walkie à la main, debout à certains croisements de rues. Le
soir même, vers 2 heures du matin, j'en verrai d'autres , immobiles
et silencieux sous les réverbères, aux aguets, gardant Dieu sait
quoi. A ma connaissance, cette partie de Furn el Chebbak n'abrite
aucun bâtiments « sensibles ».
Lundi 24
décembre. Malgré ce regain de tension, les quartiers chrétiens et
commerciaux de Beyrouth continuent leurs préparatifs de noël sept
jours par semaine, dans un joyeux capharnaüm qu'il est impossible
d'ignorer. Dans tout Furn El Shebbek, les commerçants ont sortis les
enceintes et les stéréo, et diffusent du matin au soir tous les
hymnes à la gloire du Père Noël ou du petit Jésus qu'on puisse
imaginer, remixés à la sauce samba, rock ou electro. A plein
volume. « In excelsis deo » avec de grosses basses et des
synthés électriques saturés, ça vaut le détour. Les badauds de
tous âges se baladent coiffés de chapeaux rouges à pompons blancs
et soyeux, les rues dégoulinent de décorations diverses visibles la
nuit à perte de vue. Des véhicules blindés de transport équipés
de mitrailleuses lourdes ont aussi fait leur apparition un peu
partout, postés dans certaines rues d'où ils avaient jusque là été
absent.
Noël, envers et contre tout
Dans
les quartiers plus huppés les gens se pressent, chargés de sacs et
de paquets bariolés, à la sortie des centre commerciaux, des
boutiques de bijoux et des chocolateries, tandis que les réfugiés
syriens toujours plus nombreux et plus misérables tentent de jouer
sur l'esprit de noël pour obtenir quelques milliers de livres
libanaises. Ils sont partout, et ont développé quantités de moyens
d'obtenir de petites sommes d'argents. Des gamins cireurs de
chaussures errent, leur lourd attirail à la main, un air d'adulte
résigné collé pour toujours sur leurs bouilles insondables. Des
mères se postent sur les trottoirs et exhibent leurs bébés abrutis
de médicaments en bégayant des suppliques que je ne comprend pas.
Des vieux agitent vainement ce qui ressemble à des tickets de
tombola, d'autres des paquets de chewing-gum ou des barres
chocolatées bas de gammes. Ils sont partout, mais ont l'air
invisibles.
Le week end du 22-23, j'ai suivis des artistes
alors qu'ils couvraient de graffitis un long mur en lambeaux à
Achrafye. Tout au long des journées de samedi et de dimanche, des
dizaines de personnes se sont approchées pour les remercier et les
encourager. Surtout des vieux. Peu importe qu'ils aient été souvent
incapables de déchiffrer les lettres biscornues et torturées qui
s'étalaient sous leurs yeux, peu importe le caractère nouveau et
envahisseur de la peinture de rue. Le simple fait que l'événement
soit radicalement apolitique et non-religieux et se base uniquement
sur la création et la passion leur suffisait. Le pays a beau être
au bord du chaos, la majorité des hommes et des femmes que je
croise, que je rencontre, que je fréquente vivent leur vie comme si
de rien n'était -en surface en tout cas- et sont heureux de
soutenir chaque initiative, chaque projet qui s'affranchis du
pessimisme ambiant.
Noël.
Pas d'attentats, pas de problèmes majeurs, grâce à la présence
massive de forces de l'ordre dans toute la ville. Les chants de noël
ne résonnent plus dans la rue, on entend à nouveau les riverains
s'engueuler ou hurler de rire à intervalles réguliers entre deux
coups de klaxons stridents. La vie reprend son cours « normal »,
les plans pour l'année qui vient s'amoncellent, et l'espoir se
cramponne, tenace, face aux prédictions apocalyptiques de ceux qui
tirent les ficelles dans la région.
Vendredi
27 décembre. Une voiture piégée explose dans le centre ville, près
des tours en verre pour milliardaires saoudiens de Zeituna Bay. Elle
tue 5 personnes dont l'ancien ministre Mohamed Chatah, proche de la
famille Hariri donc du camp du 14 mars. Plus de 50 personnes sont
blessées. Je me rend sur les lieux une heure après l'attentat.
Beaucoup de routes sont barrées, et dans la rue presque tout le
monde est vissé à son téléphone. Il fait beau, presque trop
chaud. Des militaires sont postés partout, armés jusqu'aux dents,
casques vissés sur la tête. Les vitres des immeubles adjacents ont
explosé et tapissent le goudrons sur des centaines de mètres
carrés. Des morceaux de plafonds, de murs sont tombés. Partout, des
fragments de voitures dont certains sont énormes, tordus et
calcinés. Des membres de la police scientifique prennent des photos.
Un type en costume encadré par cinq gardes du corps quadrille les
lieux, désigne un homme du doigt, puis l'interroge brièvement avant
de quitter la zone. Une foule de curieux et de journalistes
mitraillent l'endroit de photos. Les arbres de la petite place
dévastée ont perdus toutes leurs feuilles, les véhicules aux
alentours ont l'air d'avoir été froissés par des mains de géants.
Après avoir fait le tour et pris quelques photos, je m'approche d'un
carré réservé à la presse. Un journaliste dégaine son Iphone et
se prend en photo devant des débris. J'ai envie de lui arracher son
téléphone et de lui hurler au visage, mais je ne suis pas sûr de
savoir quoi dire. Alors je pars. Sur le chemin du retour, je passe au
supermarché m'acheter de quoi manger.
A
l'intérieur, des chants de Noël sont encore diffusés en boucle.
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