On me l'a souvent répété, le Liban
était autrefois l'un des plus beaux pays du monde par la richesse et
la diversité de ses paysages et de sa flore. Cependant, ceux qui me
racontaient leurs souvenirs d'un Liban où les maisons aux toits de
tuiles rouges et aux murs de pierres blanches brillaient chaque jours
dans l'océan de verdure qui les entouraient, avaient souvent la
soixantaine passée. De guerre en guerre, l'architecture de régions
entières a disparue au profit du béton, cet allié indéfectible de
la modernité à bas prix. Et il y a pire: le pays est effroyablement
pollué. Difficile de le dire autrement quand on a voyagé hors de
Beyrouth, qui elle même renferme quelques oasis d'ordures ajoutant à
son charme violent. Sur les bords des routes, des chemins et même au
bords des rivières s'amoncellent des déchets en quantité parfois
astronomique. La vallée de la Kadisha est épargnée, tout comme les
montagnes druzes du Chouf et d'autres coins plus ou moins reculés,
mais dans l'ensemble, le pays ressemble fréquemment à un camping de
festival avant l'arrivée des nettoyeurs.
Et pourtant, des nettoyeurs, il y en a.
Une seule compagnie en fait, qui officie aussi bien en ville que dans
les coins les plus perdus et repoussant : Sukleen. Les hommes
qui la composent, presque tous d'origine asiatique (Sri Lanka, Inde,
Pakistan) portent un uniforme verdâtre et une casquette assortie, et
sillonnent le pays jours après jours pour empêcher la situation
d'empirer. On les voit souvent sur le bord des routes, en plein
cagnard, se déplaçant lentement en scannant le sol devant eux à la
recherche de déchets. A Beyrouth ils sont partout, et pourtant nul
ne les remarque. Comme les réfugiés syriens, ils semblent frappés
d'une invisibilité sélective, et faire partie du décors. La
plupart de ceux que je croise ont les yeux perdus dans le vide, et
ramassent machinalement quelques uns des détritus éparpillés
devant eux grâce à leur canne articulée (un long manche, une pince
rétractable, un bouton pour l'ouvrir et la fermer). Mais
systématiquement, il suffit de croiser leur regard en souriant pour
les voir sourire sincèrement à leur tour et échanger les
amabilités d'usage, comme soulagés de voir un étranger leur prêter
attention.
Les libanais sont les premiers à
l'avouer : ils ne sont pas encore habitués à garder leur pays
propre. Est-ce à cause des années de guerres et de destruction, nul
ne le sait vraiment, mais le résultat est là : pas de
programme de recyclage national, peu de poubelles dans certains
quartier et certaines régions, pas de politique de changement des
comportements... Qui se perpétuent donc aujourd'hui. Une famille
allant picniquer laissera souvent l'intégralité des déchets sur
place, même lorsqu'une poubelle est disponible à quelques mètres.
Lors d'un trajet en voiture, tous les emballages, canettes et autres
saloperies finissent régulièrement par la fenêtre. En ville, tout
espaces abandonné, ou « en friche » (terrains vagues,
parkings, chantiers...) est immédiatement utilisé comme dépotoir,
créant parfois des « piscines » d'ordures que les héros
de l'ombre de Sukleen ont toutes les peines du monde à vider. C'est
à se demander ce qu'il adviendrait si ces petits hommes verts
décidaient de faire grève pendant une semaine (si tant est qu'ils
en aient le droit / la possibilité)... Une chose est sûre, le pays
changerait drastiquement de visage et l'importance de Sukleen ainsi
que la responsabilité de chacun deviendraient enfin une évidence,
administrant une bonne claque à une partie de la population qui, de
ce côté, en a bien besoin.
Le gouvernement, comme tant de ses
administrés, a conscience du problème et de ses répercussions sur
l'hygiène, le tourisme et l'environnement. Ces jours ci, le
parlement doit voter un plan de plus de 700 millions de dollars pour
tenter de lutter contre les évacuations hasardeuses d'eaux usées
(qui se font actuellement dans les rivières ou directement dans la
méditerranée) et permettre un traitement des déchets efficace et
sain. Essayons d'être optimiste.
Pour finir ce billet, une petite
anecdote résumant parfaitement certains comportements fréquents au
Liban : une famille d'amis se rendent pour le deuxième jour
consécutif à une plage censée être particulièrement bien
entretenue, dans la région de Batroun. La veille, ils avaient
remarqué que les galets se couvraient d'une espèce d'algue verte,
mais ce jour là, ils n'en trouvent pas trace. Interloqués, ils
questionnent l'un des employés de la plage (privée, comme presque
toutes dans le pays). Tout sourire, le type s'exclame alors
« chlore ! », en mimant le geste de verser quelque
chose. Les plages de la régions avaient tout simplement été inondées
de chlore pour remédier au problème d'algues...
Oui. Vous avez bien lu.
Ca n'empêche pas votre serviteur et
des centaines de milliers d'autres gens de barboter allègrement dès
que l'occasion se présente, mais ça donne à réfléchir.
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